Prévue par les articles 1792 et suivants du code civil et refondue par la loi n° 78-12 du 04 janvier 1978 dite ‘’Loi SPINETTA’’, la responsabilité décennale constitue la pierre angulaire du régime de responsabilité des entrepreneurs du Bâtiment.
Son nom de responsabilité décennale vient de son délai de prescription prévu par l’article 2270 du code civil qui est, comme son nom le laisse présager, de 10 ans.
Une responsabilité propre aux constructeurs
Bien qu’elle soit la plus généralement connue, la responsabilité décennale n’est pas la seule applicable. Il ne faut pas oublier la garantie de parfait achèvement et la garantie de bon fonctionnement qui feront l’objet d’une prochaine fiche pratique. Elle présente un caractère exorbitant du droit commun, c’est-à-dire qu’elle vient s’ajouter à celles qui pèsent sur l’ensemble des professionnels et que l’on dénomme sous le terme générique de « responsabilité civile professionnelle ».
D’une part, elle ne concerne que les constructeurs tels qu’ils sont défini par l’article 1792-1 du code civil, à savoir :
Architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, ce contrat consistant en la fourniture de son travail (main d’œuvre) et de la matière (les matériaux) ;
Personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire ;
Personne qui, bien qu’agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d’un locateur d’ouvrage.
D’autre part, elle n’a vocation à s’appliquer qu’après la fin des travaux et son point de départ est constitué par la réception des travaux par le maître d’ouvrage. Avant la réception des travaux, tout désordre relève de la responsabilité contractuelle et non décennale.
Une présomption de responsabilité
Une obligation de résultat pèse sur le constructeur de l’ouvrage. Le maître de l’ouvrage n’aura qu’à démontrer l’existence d’un désordre rentrant dans le champ de la responsabilité décennale pour être indemnisé.
Le simple fait que l’entrepreneur n’ait commis aucune erreur n’est pas suffisant pour s’exonérer de cette responsabilité. Les seuls moyens sont de démontrer l’existence d’un cas de force majeure, le fait d’un tiers ou la propre faute du maître d’ouvrage.
La transmission de l’action en responsabilité
Elle est transmise aux propriétaires successifs de l’immeuble qui sont subrogés de plein droit au maître de l’ouvrage vis-à-vis des constructeurs, c’est à dire qu’il leur appartient d’actionner l’entrepreneur en responsabilité.
Caractère d’ordre public
Il ne peut-être dérogé à la responsabilité décennale et toute disposition contractuelle qui aurait pour effet de la supprimer, de la diminuer ou de la suspendre peut être déclarée nulle de plein droit.
La loi du 4 janvier 1978 considère comme non écrite toute clause d’un contrat qui a pour objet d’exclure ou de limiter la responsabilité décennale prévue aux articles 1792, 1792-1 et 1792-2 du code civil. Seules sont désormais autorisées les clauses aménageant les recours entre constructeurs.
Ce caractère d’ordre public ne concerne que les marchés privés et non les marchés publics.
Champ d’application de la responsabilité décennale
Tout constructeur d’un ouvrage dont l’édification a été entreprise depuis le 1er janvier 1979 est responsable de plein droit envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage :
Des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination (article 1792, al. 1er du code civil) ;
Des dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un bâtiment mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert (article 1792-2, al. 1er, partie 1 du code civil).
La notion d’ouvrage
La loi du 4 janvier 1978 a abandonné le terme d’« édifice » au profit de celui, plus large, d’« ouvrage » qui désigne la globalité d’une construction de caractère immobilier avec tous ses éléments constitutifs et d’équipement. Cette notion d’ouvrage s’applique non seulement aux bâtiments mais aussi aux travaux de génie civil, aux VRD, aux installations sportives et de loisirs qui, contrairement aux solutions retenues avant la loi du 04 janvier 1978, entrent dans le champ d’application de la responsabilité décennale.
Le régime des responsabilités défini par les articles 1792 et suivants du Code Civil s’applique aux seuls ouvrages immobiliers. Il semble que le critère adopté par la jurisprudence réside dans le rattachement de l’ouvrage au sol ou au sous-sol par les travaux d’implantation ou de fondations.
Les travaux sur-existants ne peuvent plus être écartés du champ d’application de la responsabilité décennale au motif qu’ils n’ont pas pour objet la construction d’un édifice. Les juges doivent rechercher quelles ont été la nature et la consistance des travaux, ainsi que l’importance des malfaçons qui en ont résulté (atteinte à la solidité de l’ouvrage ou impropriété à sa destination).
Les travaux d’aménagements intérieurs, dans la mesure où ils concernent des éléments mobiliers s’incorporant de manière indissociable aux locaux, entrent dans le champ d’application de la garantie décennale.
Éléments constitutifs de l’ouvrage
L’expression « Éléments constitutifs » recouvre les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert qui étaient déjà compris dans la notion de « gros ouvrages ».
Élément d’équipement indissociable
Un élément d’équipement d’un bâtiment est considéré comme formant indissociablement corps avec l’un des ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage (article 1792-2, al. 2 du code civil). Les éléments d’équipement dissociables relevant normalement de la garantie de bon fonctionnement peuvent engager la responsabilité décennale de l’entrepreneur si leurs défaillances entraînent l’impropriété à destination de l’ouvrage.
Atteintes à la solidité de l’ouvrage
Il n’existe pas de liste exhaustive de ces atteintes. Il appartient au juge de vérifier si les désordres peuvent remettre en cause la pérennité dans le temps de l’ouvrage concerné (fissures traversantes, affaissement, etc…).
Cette définition tend à exclure les désordres purement esthétiques.
Malfaçons rendant l’immeuble impropre à sa destination
L’impropriété à destination est retenue lorsque l’ouvrage ne remplit plus la fonction pour lequel il a été conçu.
L’atteinte à la destination de l’ouvrage recouvre les hypothèses les plus diverses, la jurisprudence tenant compte, par exemple, des désordres :
- Qui portent sur le clos et le couvert et affectent notamment l’étanchéité de l’immeuble ;
- Qui concernent les canalisations, les réseaux électriques ou téléphoniques ;
- Qui concernent les défauts d’isolation thermique, de chauffage, d’aération ;
- Qui concernent les défauts d’isolation phonique.
Obligation d’assurance
L’article L 241-1 du code des assurances rend obligatoire la souscription d’une assurance pour toute personne dont la responsabilité décennale peut être engagée.
Pour les contrevenants, les sanctions prévues par l’article L 243-3 du même code sont particulièrement lourdes puisqu’il est prévu une peine d’emprisonnement de six mois et une amende de 500 000 €.